Les métamorphoses des Barr Brothers

12 février 2019

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle

Les métamorphoses des Barr Brothers

La dernière année n’a pas été de tout repos pour les Barr Brothers. Brad (voix, guitare) et Andrew (batterie) Barr ont en effet vu leur formation être l’objet de différentes secousses, à commencer par le départ de la complice de la première heure, Sarah Pagé (harpe). Or au fil des changements de membres, la troupe a revu son répertoire en profondeur et en est ressortie grandie.

Pendant près d’un an, les frérots qui sont nés aux États-Unis et qui se sont établis à Montréal ont appris à donner une nouvelle saveur à leurs chansons, sans la sonorité de la harpe. Après le départ de Sarah Pagé, Lisa Moore, la conjointe du bassiste Morgan Moore, est venue prêter main forte au chant, aux claviers et aux percussions. Brett Lanier, à la pedal steel, est également venu mettre du sien. Or les Moore ont eu leur premier enfant et ont décidé de prendre un congé familial. Ce changement a, une nouvelle fois, changé la donne : les Barr Brothers ont renoué avec la harpe, celle de Eveline Grégoire-Rousseau, et ils se sont adjoint les services du bassiste Mishka Stein, du Patrick Watson band, avec lequel ils avaient déjà enregistré. C’est cette formation, où Brett Lanier « était le petit nouveau hier et est aujourd’hui le vétéran », comme me l’a indiqué Brad Barr en entrevue, qui s’arrêtera au Palais Montcalm le 20 février. Plus de détails dans notre entretien, ci-dessous.


 

Nicolas Houle : Brad, vous vivez à Montréal depuis 13 ans maintenant. Vous avez donné des concerts au Canada et à l’étranger, y compris aux États-Unis. Quel genre de relation avez-vous maintenant avec les États-Unis? Êtes-vous toujours un Américain dans l’âme ou est-ce que quelque chose a changé?

Brad Barr : C’est amusant que vous posiez cette question, car il y a une trentaine de minutes, j’étais au bureau des passeports pour obtenir un nouveau passeport pour mon fils. J’écoutais la radio et j’entendais les nouvelles à propos de ce gouvernement [américain] et du shutdown; je réfléchissais à la mentalité d’une grande portion de ce pays qui a élu Donald Trump et j’ai réalisé que je me sentais plus Canadien que jamais et je me demandais ce qui c’était passé. Les frontières peuvent être une grande source de division et créer ce sentiment de « nous » et « eux », mais quand on regarde comment un gouvernement se conduit et quel est l’impact sur son peuple, la différence devient très apparente. Présentement, je sens que je vibre avec le « nous » au Canada et je pense aux pauvres personnes aux États-Unis qui doivent subir ça. C’est un gros mal de tête, même si ce n’est pas une famine ou une sécheresse. Je suis juste content d’être ici, en haut. En même temps, je me sens plus impliqué dans l’élection qui s’en vient en 2020 que dans celles qui s’en viennent au Canada parce que j’ai toujours de la famille et des amis là-bas et je veux être fier de mes racines américaines. Je n’aime pas me sentir forcé de m’excuser pour le comportement et les politiques du président des États-Unis, qui est en fait toujours mon président, car je suis toujours un citoyen américain, mais au plan émotif, je me sens plus comme un Canadien qu’un Américain. Au-delà des premières 13 années, où je vivais à Providence, au Rhode Island, [Montréal] est l’endroit où j’ai vécu le plus longtemps depuis que j’ai quitté la maison à l’âge de 16 ans. Mon fils est né ici, on apprécie tous les bienfaits de cette société et je suis très reconnaissant. Je ne ferais pas ce métier si ce n’était pas de Montréal et des gens qui gravitent autour et qui m’inspirent.

 

 

NH : Ça fait un petit moment maintenant que vous tournez avec le matériel de Queens of the Breakers (2017). Comment cette tournée a-t-elle évolué? Avez-vous de nouvelles compositions que vous êtes prêts à étrenner devant le public?

BB : Ç’a été une année où il y a eu beaucoup de va-et-vient parmi nos membres. Ça n’a pas été simple. J’imagine que j’aurais dû voir ça venir, parce que garder le cœur d’un groupe quand vous êtes au milieu de la trentaine et dans la quarantaine est difficile : la vie des gens évolue. […] Mais donc il y a eu tellement de va-et-vient de personnel, que juste de se maintenir avec notre matériel actuel était beaucoup de travail, sans compter faire apprendre ces chansons à tout le monde. Mais ça nous a donné une nouvelle perspective, ne serait-ce que pour connaître le cœur de chaque chanson, quelles sont les parties importantes. On s’est en quelque sorte libéré des arrangements un peu plus étoffés; on s’est permis de respirer à la manière d’une improvisation, en laissant les musiciens trouver leur place et arriver avec leurs propres partitions de manière intuitive. Le groupe a donc évolué et les chansons, en particulier, ont grandi, elles ont trouvé leur centre.

NH : Évidemment, vous et votre frère êtes à la base du groupe, mais est-ce que désormais les autres membres sont davantage des musiciens invités ou des collaborateurs?

BB : Sur ce point, de la manière dont Andrew et moi avons toujours vu la musique, c’est une approche assez familiale. Nous n’engageons pas de gens dans le groupe, à moins que ce ne soient des gens avec lesquels je pourrais passer une semaine dans une cabane, autour du feu, parlant de ceci ou cela. Je les considère comme des amis proches. Mais quand vient le temps de prendre des décisions, que ce soit pour les concerts, la gérance ou autre, c’est toujours Andrew et moi. Tant mieux pour eux, ils n’ont pas à se soucier de ça! Au plan créatif, je m’appuie par exemple sur l’instinct de Brett [Lanier] autant que sur celui d’Andrew à la batterie. Je ne veux pas dicter à quiconque une partition, je veux qu’ils s’approprient les pièces. Je peux faire des suggestions, par contre. Tout le monde est dans le groupe autant qu’ils le peuvent. Ça peut être délicat de garder sur pied un groupe à cette période de nos vies. J’ai 43 ans, alors juste d’être loin de ma famille pendant 2 semaines peut devenir intense. Il faut engager des plus jeunes que nous! Miles Davis faisait ça et maintenant je comprends pourquoi!

 

 

NH : Queens of the Breakers était un album particulier, il y avait beaucoup d’influences, ce qui fait que vous pouviez aller du côté du blues, de la folk, de la world, voire de chansons exploratoires avec des crescendos. Est-ce que pour le prochain projet vous voulez aller dans ces différentes directions ou arriver avec quelque chose de plus précis et défini?

BB : Je crois que ç’a toujours été à la fois un bien et un mal qu’Andrew et moi admirions tellement de styles de musique. Lorsque nous trouvons quelque chose de nouveau, nous voulons le comprendre et l’apprendre, puis ça entre dans notre musique et ça devient une influence. Pour un groupe comme le nôtre, ça se traduit par des albums qui vont dans toutes les directions. J’ai toujours voulu faire un album qui avait un style plus précis. On parle beaucoup de ça, de peut-être se mettre des limites dans le choix des instruments. J’ai pensé par exemple à faire un prochain album en n’utilisant qu’une guitare classique, avec des cordes de nylon ou alors sans batterie, uniquement des percussions. Ou alors essayer de faire ça en trio, avec le moins d’ajouts possible, car aujourd’hui, c’est tellement facile d’ajouter toutes sortes d’éléments. (…) J’aimerais que le prochain album soit mieux défini. Ce n’est pas quelque chose qu’on veut faire pour démontrer autant de styles, ça prend forme simplement de cette manière. C’est juste que lorsque je me retrouve dans un mode créatif, ça peut être toutes sortes de choses et on sent que c’est important pour nous de représenter toutes nos influences sur un album.

NH : Cela dit, la multiplicité des genres n’est pas un mal, ça vous a toujours bien réussi, en particulier avec Queens of the Breakers

BB : Merci, j’ai adoré créer ce matériel et je suis très content de comment cet album est sorti. Andrew a indiqué qu’il ne voulait pas faire un autre album de cette façon et je comprends ce qu’il veut dire. Et pour Sleeping Operator aussi, le processus de création a été très long : aller en studio, passer quelques semaines, faire les pistes de bases, puis passer environ un an dans notre studio à essayer des choses de telle et telle manière… Je suis heureux du résultat, mais je comprends ce qu’Andrew veut dire. Un album qui aurait davantage de précision serait intéressant pour nous, ce serait un changement.

 

 

NH : Vous avez décidé, pour certains de vos concerts de la présente tournée, de jouer vos albums en entier, avec les chansons dans la même séquence qu’elles ont été enregistrées. C’est une manière de souligner la fin d’un cycle pour le groupe pour ensuite rebondir ailleurs?

BB : Pour être honnête, nous savions que nous étions dans une période d’entre-deux, où nous n’allions pas avoir d’album avant, au plus tôt, le printemps 2020. On veut offrir au public une musique qu’il connaît peut-être mais qu’il ne nous a pas entendu jouer. C’est une manière de donner au public une nouvelle expérience, mais avec du vieux matériel. C’est davantage pour le public que pour nous. Je tente de me retenir d’aller visiter de nouveau la vieille musique, parce que je sens qu’il y a une certaine dose de nostalgie et ce n’est pas quelque chose que je veux nourrir. Je préférerais que tout progresse, qu’on s’éloigne du passé, mais je reconnais que c’est peut-être le bon moment de faire quelque chose comme ça. Et puis ça nous a été suggéré par notre gérante, Meghan [Clinton], qui est aussi la femme de mon frère, et je fais confiance à son instinct pour ce genre de choses. À titre d’amateur de musique, j’aime voir ces albums interprétés, parce qu’on n’entend pas souvent toutes ces chansons en concert…

Les Barr Brothers seront en concert à la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm le 20 février 2019, à 20 h.