24 avril 2019
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Le Journal de Nicolas Houle
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Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle
Elle chante, elle joue du piano, elle compose et elle fait le tour du monde… À 31 ans, Sarah McKenzie a déjà une imposante feuille de route. La jazzwoman originaire de l’Australie compte en effet pas moins de cinq albums, dont le plus récent, Secrets of My Heart, qu’elle partagera le 26 avril au Palais Montcalm avec son quartet à l’occasion de sa toute première visite à Québec.
Sarah McKenzie n’est pas la première jazzwoman à chanter des titres originaux et des reprises tout en s’accompagnant au piano. Une certaine Diana Krall fait partie du lot, ce qui a valu à l’Australienne d’être souvent l’objet de comparaison. Elle ne s’en offusque guère, d’autant qu’elle voue assurément un respect à l’artiste canadienne, or quiconque prête l’oreille à son matériel remarquera qu’elle s’efforce de tracer sa propre route.
Nicolas Houle : Parlez-moi d’abord du spectacle. Comptez-vous explorer principalement les pièces de votre nouvel album Secrets Of My Heart, ou faire un best of de votre carrière?
Sarah McKenzie : Je vais jouer des chansons de mon nouvel album Secrets Of My Heart, sans oublier mes chansons préférées tirées de mes anciens albums comme Paris In The Rain et We Could Be Lovers. Mais le concert sera principalement composé de chansons tirées de Secrets Of My Heart. […] Nous aurons un formidable groupe et passerons un bon moment, j’en suis certaine!
NH : Comme le titre le laisse supposer, ce nouvel album est très personnel, qu’est-ce qui vous a incitée à écrire et à partager ce matériel plus intime?
SM : J’ai vécu de nombreuses expériences au courant des deux dernières années. Je suis allée au Brésil pour la première fois, ce qui a eu un grand impact pour moi, puisque j’aime la musique de [Antônio Carlos] Jobim et d’autres musiciens brésiliens. J’ai eu la chance de jouer avec des membres d’origine du Jobim Band, ce qui a été fantastique. J’ai adoré cette expérience, et cela a permis la création de quelques morceaux comme De Nada et Till The End Of Time. J’ai également eu l’occasion de rencontrer le mythique Michel Legrand, qui est décédé cette année. Outre cela, c’est la première fois – je suis Australienne – que je commence vraiment à m’ennuyer de la maison et de ma famille, me faisant remettre en question les sacrifices que demande la vie en tournée. Mais le problème est que j’aime tellement la musique… Je crois que j’aborde ces thèmes à ma façon sur mon nouvel album, et je suis très excitée de le faire entendre aux gens.
NH : Jusqu’à quel point vous permettez-vous de partager du matériel personnel? Y a-t-il une ligne que vous ne voulez pas franchir?
SM : Oui, je me suis donné une règle. Je ne me dévoile pas trop dans les chansons. Je n’écrirai jamais dans les paroles « Oh, je suis si triste, je m’ennuie de la maison ». Ce ne sera jamais aussi évident. Je crois que la chanson Secrets Of My Heart en est un bon exemple, où je dis « Alone in the world, without a guide or a church », ce qui est davantage la façon dont je vais exprimer ma pensée. Sans quoi, cela deviendrait une approche trop auteur-compositeur-interprète et cela ne m’intéresse pas. Je suis intéressée par la poésie, gardant ainsi le message accessible pour que d’autres personnes puissent s’identifier à mes propos.
NH : Oscar Peterson a joué un rôle important dans votre carrière. De quelle façon?
SM: Oscar est, je crois, l’un de mes pianistes préférés. Il est le premier pianiste jazz que j’ai entendu. Mon professeur de piano blues et rock’n’roll m’a déjà dit « Sarah, tu as un bon feel pour le blues, pourquoi n’essaies-tu pas le jazz? » Parce que le jazz contient du blues, vous savez? C’est une grande partie de cette musique. Il m’a donc incitée à trouver un enregistrement jazz et de lui partager ce que j’en pensais. J’ai trouvé la compilation Jazz On A Winter’s Night, et la première chanson sur l’album était Night Train, et j’ai juste adoré cela. C’était un blues en sol, mais il y avait tellement plus que les rythmes simples que m’enseignait mon professeur. C’était un choc, et j’ai appris à jouer la chanson exactement comme elle était écrite, je l’ai donc retranscrite. J’ai fait cela pour me rapprocher de Ray Brown et penser comme si je faisais partie de la musique. Je ne sais pas pourquoi, mais cela m’a vraiment excitée. Dès ce moment, j’ai aimé Oscar Peterson et ai écouté beaucoup de ses enregistrements. We Get Requests, The Cole Porter Songbook, tous ces albums sont fantastiques. Il est un musicien incroyable, définitivement mon musicien favori.
NH : Comme vous l’avez mentionné, vous êtes Australienne. Vous avez beaucoup voyagé, je crois que vous vivez actuellement à Londres, est-ce exact?
SM : Oui.
NH : Quitter votre pays pour vivre votre rêve de jouer du jazz était-il un choix évident ou difficile? Puisque, en regardant une carte du monde, on constate que l’Australie est un pays éloigné lorsqu’on veut voyager d’un endroit à l’autre…
SM : Vous savez, j’ai toujours eu cette passion pour la musique. Cela a commencé à l’âge de 9 ans avec un excellent professeur de piano, un formidable enseignant de blues et de boogie-woogie. Tout au long de mon secondaire, j’ai été très impliquée dans la musique. J’ai d’abord étudié en Australie et y ai produit deux albums – dont un qui a remporté le Grammy australien de l’Album jazz de l’année. J’ai ensuite su que, pour avancer, j’avais besoin d’aller à la source de la musique, aux États-Unis. J’y ai étudié avec des légendes de jazz et tenté d’y trouver ma place. J’ai donc toujours su que j’avais besoin de quitter [l’Australie] pour atteindre de hauts niveaux.
NH : Vous avez également vécu à Paris. Qu’avez-vous appris là-bas? Cette ville vous a-t-elle influencée?
SM : Paris m’a beaucoup influencée, et ce, dès les premiers instants où j’y suis arrivée. Après avoir étudié au Berklee College of Music à Boston, c’était la première fois que j’allais à Paris et c’était magnifique, il pleuvait doucement. J’étais émerveillée! Paris est si belle même sous la pluie avec ses rues, ses lampadaires, ses petits cafés de jazz et tout. Regarder les gens passer était très romantique, cela a eu un effet très profond sur moi dès la première fois. Et vivre là-bas, être en interaction avec la culture, aller dans les musées, voir des originaux de Monet, Vega, Van Gogh, c’était magique pour moi. Cela a définitivement eu un effet sur ma musique et m’aura permis d’écrire la chanson Paris In The Rain, où j’y ai mis tous les sentiments ressentis.
NH : Un peu plus tôt, vous avez parlé de Michel Legrand. Vous reprenez l’une de ses chansons sur votre nouvel album et vous avez discuté et joué avec lui… pouvez-vous m’en dire davantage sur cette rencontre?
SM : Oui, absolument. Le contrebassiste avec qui je joue, Pierre Boussaguet, a été le contrebassiste de Michel Legrand pendant plus d’une décennie. Il y avait donc une connexion là. J’allais alors rencontrer Michel Legrand, et ce dernier a décidé de venir me voir à mon appartement puisque j’avais un piano, et ce moment me rendait très nerveuse. J’ai entendu beaucoup de choses au sujet de maestro Michel Legrand. Il ne peut supporter les imbéciles. Lorsqu’il était jeune, Miles Davis s’est présenté devant lui et Legrand aurait dit « Miles, reste près de la porte. Je vais t’écouter jouer, et si tu es bon, tu pourras rentrer. Autrement, tu devras quitter ». J’avais donc peur que Michel Legrand me réserve le même traitement. Je l’ai donc attendu nerveusement, mais il est rentré, et je lui ai joué quelques chansons. Lorsque j’ai commencé à jouer de ses compositions, il s’est joint à moi au piano et a joué la main gauche. J’avais l’impression qu’il me testait en changeant les harmonies, les tempos et le feel, mais j’étais prête et avais appris les morceaux. À la fin, il m’a dit que j’avais un bon feel pour le jazz, et qu’on pourrait faire des concerts chantants à deux pianos à l’avenir. Je me suis dit que ce serait incroyable, mais il est malheureusement décédé. Je m’estime tout de même privilégiée d’avoir vécu ce moment avec lui, parce que j’aime vraiment sa musique et qu’il a eu une grande influence sur ma musique, particulièrement avec des compositions comme Secrets Of My Heart, où on retrouve ses influences française et classique.
NH : Sarah, vous avez déjà lancé plusieurs albums, on dirait que vous n’aviez pas de temps à perdre. Y avait-il une sorte d’urgence à partager votre musique qui vous incitait à foncer droit devant?
SM : Oui, assurément. Toujours. À l’âge de 24 ans, après avoir lancé deux albums en Australie, il y avait comme une alarme dans ma tête qui me disait « Je dois aller en Amérique, je dois aller en Amérique, comment vais-je faire ça? » J’ai su qu’il y avait un atelier de Berklee au Umbria Jazz durant deux semaines. Cela coïncidait avec le Umbria Jazz Festival, je me suis dit que je devais y participer et, qui sait, je pourrais avoir une bourse pour le Berklee College of Music si je travaille fort. Et à Berklee, j’aurai peut-être une opportunité, tout partira de là. C’était ma façon de penser et, heureusement, j’ai eu une bourse qui couvrait entièrement les frais de scolarité. Une fois arrivée à Berklee et installée là-bas, j’ai été en mesure de réaliser de grandes choses, comme jouer avec le Boston Pops Orchestra, jouer au Monterey Jazz Festival et au Lincoln Center à New-York, puis j’ai signé un contrat avec Impulse et ai emménagé à Paris. Je crois qu’il est important de savoir ce que l’on veut faire, et de suivre cette voie lorsqu’on l’a trouvée.
NH : Même si vous avez accompli beaucoup de choses, enregistré de nombreux albums et trouvé votre propre signature, vous êtes souvent comparée à Diana Krall. Est-ce que cela vous dérange, ou est-ce plutôt un élément avec lequel il faut se résigner à vivre?
SM : Je dois d’abord admettre que c’est une artiste formidable. Il y a deux côtés à cela. Je respecte Diana Krall et je crois que c’est une grande pianiste, chanteuse et artiste, ce qui ne me cause aucun problème. Mais je n’ai planifié d’être comme elle et, quand on y pense, il y a plein saxophonistes masculins avec des cheveux bruns. Est-ce qu’on les compare? On m’associe à elle parce qu’il n’y a présentement que deux femmes pianistes et chanteuses avec les cheveux blonds. Je crois que c’est un peu injuste, d’une certaine façon. Je n’ai jamais tenté de copier Diana Krall, je trace définitivement ma propre voie. Je suis davantage une compositrice qui écrit ses propres paroles et chansons, nous sommes très différentes. Mais j’insiste pour dire que c’est une musicienne et pianiste incroyable, plus axée sur la musique brésilienne. Donc oui, je suis honorée d’être comparée à une si grande artiste, mais je tiens à être connue pour moi-même, comme une artiste à part entière.
NH : Vous jouez du piano, vous chantez, vous composez… cela pourrait paraître évident, mais ce sont trois aspects complètement différents. Est-ce un défi de développer et de rechercher l’excellence dans tous ces aspects de votre carrière?
SM : Absolument. Je trouve que ces aspects s’améliorent à des rythmes différents. Parfois, je constate que je fais de grands progrès au piano, tout en réalisant que je dois travailler ma voix de l’autre côté. Puis, soudainement, il y aura un projet d’écriture où je ne ferai que composer pendant trois mois, et je ne pratiquerai pas comme il se doit. Bref, je ne fais que donner mon meilleur pour m’améliorer en permanence et être constante, c’est un besoin, cela ne s’arrête jamais. Si je fais un projet d’écriture en ce moment, c’est bien, mais la prochaine étape est de retourner au piano et à la voix. Il faut tout surveiller pour continuer de s’améliorer et maintenir l’excellence.
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Sarah McKenzie sera en concert à la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm (Québec, Canada) le 26 avril 2019.