13 octobre 2022
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Le Journal de Nicolas Houle
Écrit par : Anne-Louise Champagne
Dan Bigras replongera, le 28 octobre au Palais Montcalm, dans l’album par lequel tout a commencé, le premier véritablement et entièrement signé Bigras. « J’ai vécu une vie où je m’assume à 100%, et c’est grâce à Tue-moi. »
Chronologiquement, ce n’est pas son premier enregistrement, mais le deuxième. Sauf que l’artiste aux multiples talents a renié son premier bébé, Ange animal. « C’était quelque chose qui ne respectait pas du tout ce que je voulais faire, pis je l’ai pas aimé du tout. »
Revenons quelque 35 ans en arrière, à l’époque où Bigras faisait des covers de blues dans les bars. Le jeune Dan, sa fougue et sa voix rauque avaient été remarqués par Gerry Boulet, qui l’avait pris sous son aile et lui avait proposé de travailler avec lui sur un premier disque. Jusqu’à ce que la maladie bouscule tout. Gerry, sachant que son temps était compté, s’était concentré sur son propre disque et quelques shows. « Évidemment, je comprenais. Je lui ai dit que je m’arrangerais.»
Bigras a donc enregistré un album malgré tout, sans l’aide de Gerry. Ce qui lui a apporté un lot de regrets, mais aussi quelque chose comme un nouvel élan. Désormais, iI serait le maître d’œuvre. « Pour ce qui allait devenir Tue-moi, je m’étais organisé. Co-producteur, réalisateur, arrangeur, j’étais tout. Le disque allait sonner comme je voulais qu’il sonne.»
Il ne s’agit pas là d’un simple caprice. « La job d’un artiste c’est d’enregistrer, littéralement, des fantasmes. Tout ce que tu entends, tout ce que tu rêves de faire, de jouer, c’est ça qu’il faut enregistrer, assure l’artiste. Pis après, quand tu vas faire des shows, tu peux laisser tes tripes sur la table parce que tu vas chanter ce que tu veux chanter. »
Tue-moi, sorti en 1992, a donc permis à Bigras de faire ses premiers pas sur un chemin que, dorénavant, il baliserait lui-même. La manœuvre a été couronnée de succès, avec 80 000 exemplaires vendus, et le Félix de l’album rock de l’année. Trois ans plus tard, en 1995, il ouvrait son propre studio et aujourd’hui, quand le chanteur de 64 ans regarde derrière lui, il affirme que tout ce qu’il a fait par la suite est dans la continuité de Tue-moi.
Dan Bigras ne prétendra jamais avoir atteint la perfection. Il se dit plutôt atteint d’une « désagréable manie », celle d’avoir toujours envie de recommencer ses projets, disques, livres ou films. « Je ne l’ai jamais fait, parce que j’aime mieux écrire de nouvelles affaires, mais c’était bon signe parce que ça voulait dire que je progressais. »
S’il a déjà revisité ses anciennes chansons, c’est plutôt par son disque de duos avec de grandes chanteuses québécoises. « C’étaient moins des fantasmes à moi, mais un fantasme commun avec une chanteuse. »
Ses paroliers
Bigras a longtemps chanté les textes d’autres auteurs. Gilbert Langevin, Christian Mistral, et plus tard Roger Tabra, sans compter les reprises de grandes chansons de Léo Ferré et autres Jacques Brel. Tue-moi est signée par Frank Langolff, qui écrivait pour Florent Pagny et Vanessa Paradis, entre autres.
La collaboration entre Bigras et ses paroliers a évolué au fil des années. « Gilbert (Langevin) me donnait ses poèmes sur des napkins dans les bars. J’essayais de lui expliquer qu’il fallait que je fasse la musique en premier. Je n’étais pas capable. Il m’obstinait, me fatiguait, il ne me lâchait pas. Mais c’est lui qui avait raison. »
La magie a fini par opérer avec la chanson Naufrage. « Celle-là, c’était clair, clair, clair. Je lisais le texte et j’entendais la musique. » Après avoir travaillé sur la pièce, il l’a fait entendre à Gerry, qui lui a donné sa bénédiction. « Il m’a dit «cr… tu veux monter sur mon step!» C’était le plus beau compliment, parce que je ne me suis jamais considéré sur le step de Gerry… » À partir de là, la mise en musique de poèmes déjà écrits devenait possible.
Plus tard, avec Roger Tabra, les choses ont un peu changé, les deux hommes ayant plutôt l’habitude de travailler ensemble, dans une même pièce.
Berceuse pour une bouteille
L’étape suivante allait se dérouler à Lyon, durant une tournée. Il y avait un piano dans l’hôtel où le band était descendu. C’était en 1998, et Dan Bigras comptait trois bonnes années de sobriété. Or, devant le piano, des phrases sont venues de façon inconsciente.
Je partirai sur des chemins fous/ Loin de toi et loin de nous/ Je ne reconnais plus notre amour/ Car la mort dort dans notre cour.
C’est devenu Berceuse pour une bouteille.
« Je ne comprenais pas le sens de ce qui sortait», explique Bigras. Mais il ressentait la tristesse et il lui est apparu qu’avec ces paroles, avec cette chanson, il faisait le deuil de sa vie de consommation.
Dan Bigras confie que durant toutes ces années où il n’osait écrire, il ressentait un énorme complexe face à son père, psychiatre et écrivain. « L’écriture d’un petit gars de 16 ans comparée à celle de son père, c’est chenu un peu… »
C’est à partir de la quarantaine qu’il s’est mis à écrire régulièrement. Dans ses textes, il faut qu’il y ait une histoire, toujours. Et quand le musicien entre en studio, la chanson est prête, dans sa tête.
Un band de filles
L’ex-bum se présentera sur les planches du Palais Montcalm entouré de son band de filles, à l’exception du bassiste Jeff Déry. Jessica Lange sera derrière la batterie et Émilie Livernois-Desroches ajoutera son violon à l’ensemble. Chacun des musiciens participera aux chœurs.
Autre vie, autres habitudes. Toutes ces musiciennes sont aussi des mamans, et les répétitions se terminent désormais à trois heures de l’après-midi, pas du matin. « Et il y en a au moins deux par show qui amènent la famille au complet! On est entourés d’enfants, c’est complètement une autre vie!»
Du haut de ses 64 ans, Dan Bigras s’en réjouit.