7 décembre 2022
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Le Journal de Nicolas Houle
Écrit par : Anne-Louise Champagne
Le concert arrive à mi-parcours. Le pianiste joue les dernières notes avant l’entracte et les auditeurs, enthousiastes, se lèvent et applaudissent à tout rompre. C’est la pause. Sauf pour Marcel Lapointe, préparateur de pianos de concerts.
C’est que les applaudissements nourris ont un effet indécelable pour les mélomanes, sauf peut-être celui de les inciter à aller chercher un rafraîchissement! Mais notre accordeur sait très bien ce qui vient de se passer. Les centaines de senseurs de la salle Raoul-Jobin ont décelé une augmentation de la température de trois degrés, déclenchant automatiquement l’air climatisé. C’est excellent pour notre confort, voire pour l’économie d’énergie – nous y reviendrons. Mais pour les cordes de piano, la formule est loin d’être gagnante.
« Si je ne vais pas corriger tout de suite le mouvement (de température) créé par les applaudissements, il y a des notes qui vont ´miauler’ quand le pianiste va recommencer à jouer. Assez pour que je m’en rende compte. Pas pour les gens dans l’auditoire, mais pour le pianiste, oui. »
Certains pianistes, comme Alain Lefèvre, exigent cet ajustement en cours de représentation. Ou certains diffuseurs, comme le Club musical, qui demande la présence de Marcel Lapointe à chaque concert.
Une vocation de longue date
M. Lapointe, donc, est accordeur de piano depuis une cinquantaine d’années et préparateur pour les pianistes de concert depuis environ 35 ans. À Québec, sa réputation n’est plus à faire. Alain Lefèvre, justement, racontait en entrevue le plaisir qu’il avait à retrouver son chum Marcel lorsqu’il vient dans la Capitale.
Sous le vocable « accordeur de pianos » on retrouve bien sûr les gens qui les accordent, mais aussi ceux qui les modifient ou qui les restaurent. Marcel Lapointe, lui, en a fait une « surspécialité »: il veille sur ces instruments pour qu’ils soient impeccablement prêts pour le spectacle. Il le fait pour le Palais Montcalm, mais aussi pour le Grand Théâtre et le Diamant.
« J’avais cinq ans quand j’ai décidé d’être accordeur de piano! » Un accordeur était venu à la maison familiale pour s’occuper de l’instrument de sa mère. Il a commencé par jouer une quinte – que M. Lapointe nous fait entendre sur le piano. « Cette chose-là, ces sons qui se rencontrent, pour moi, c’était de la magie. J’étais figé. Je suis resté tout le temps qu’il a accordé le piano. Ça m’intéressait. »
Le temps a passé sans que l’intérêt diminue et, vers ses 14 ans, il a demandé à l’accordeur s’il voudrait bien lui enseigner son travail, mais la réponse a été négative.
L’occasion d’apprendre s’est représentée au Conservatoire, où il avait été admis en… saxophone. Avec le piano en instrument secondaire. « En arrivant, avant même mon premier cours de saxophone, je suis allé voir l’accordeur, je lui ai dit que j’étais intéressé. » Il a de nouveau reçu une réponse négative, mais: « J’ai pas pris son non pour un vrai non ».
« Toutes les semaines, je revenais à la charge. Je voulais juste m’asseoir et écouter, sans dire un mot. J’ai fait ça pendant deux mois. J’étais persistant! Alors il a commencé à me parler. »
C’est un métier, poursuit M. Lapointe, qui se transmet de maître à élève, une forme de compagnonnage. Il a d’ailleurs pu revivre cette relation lorsque, beaucoup plus tard, il a été admis à une classe de perfectionnement chez Steinway, à Hambourg. Une offre où sont admis des gens triés sur le volet, à la suite d’un examen. Une fois acceptés, ceux-ci peuvent explorer les sections de l’usine de leur choix. « J’étais comme un enfant dans un magasin de bonbons! »
Jour de concert
Au Palais Montcalm, le piano est installé sur la scène la veille d’un concert. Marcel Lapointe l’accorde tôt le lendemain, pour la répétition générale. Le pianiste pratique un certain temps, puis, l’instrument est réajusté avant le spectacle, ce qui peut prendre de 40 minutes à une heure trente, selon les conditions de température et d’humidité. Parce que, oui, le piano est un objet hypersensible.
« Toutes les salles modernes ont un système « intelligent » -avec des gros guillemets- de contrôle de la température et de l’humidité, explique M. Lapointe. Et c’est ce qui complique la préparation des pianos dans les salles de concert. »
Plus un piano est grand, plus il est sensible. « Un piano à queue de neuf pieds, c’est littéralement un baromètre, image-t-il. Si vous montez la température de un degré, les cordes vont s’allonger. » Et vice versa. Et le bois du piano, quant à lui, est sensible à l’humidité. Ce qui fait que les ajustements quasi instantanés de température et d’humidité, gérés par des systèmes intelligents, jouent sur les cordes du piano… et les nerfs de l’accordeur (qui est pourtant un homme d’un grand calme!)
Ces systèmes, explique-t-il, sont là principalement pour l’économie d’énergie.
Mais ne pourrait-on pas penser, au contraire, que ces ajustements continus assurent une certaine stabilité? « Pour un ingénieur, oui. Pour un accordeur, non », tranche l’homme d’expérience.
« C’est donc pour ça que lors des concerts classiques, lorsqu’il y a des intermissions, je vais faire des ajustements. »
Le piano occupe le temps, l’énergie et les pensées de notre homme depuis des dizaines d’années. Mais il a tout de même trouvé le temps en parallèle pour une carrière de saxophoniste. « Je ne joue plus parce que le piano a pris tellement de place dans ma vie. J’ai joué professionnellement pendant 40 ans. Comme j’ai arrêté, la forme diminuait, les doigts ne suivaient plus. Plutôt que de jouer à moitié, je préfère m’arrêter complètement. »