25 septembre 2025
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Le Journal de Nicolas Houle
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Entrevue
Écrit par : Alain Brunet
Intouchable de la culture canadienne contemporaine, renommé mondialement depuis quatre décennies, Daniel Lanois pourrait être rassasié, s’en tenir à la gestion de son immense réputation. Ce serait mal le connaître: il préfère poursuivre en continu cette quête d’innovation et de transmission qu’il a toujours suivie.
Multi-instrumentiste, maître réalisateur (U2, Emmylou Harris, Peter Gabriel, Neil Young, Bob Dylan, The Neville Brothers, etc), il se concentre aujourd’hui sur son art. Et son art revient parmi nous pour y faire état de ses progrès récents. Lancées en 2021, les chansons de l’album Heavy Sun pourraient constituer la plateforme pour le décollage de concerts qui s’annoncent inspirés au Québec, à commencer par celui présenté au Palais Montcalm, ce vendredi 3 octobre, 19h30.
Vu son gigantesque statut, Dan Lanois aurait aussi pu éviter les interviews, il en fut tout autrement car la conversation amicale qui suit nous en rappelle l’humilité et la bonhomie.
Daniel Lanois : Bonjour Alain (en français)
PAN M 360 : Bonjour Daniel, ça va ?
Daniel Lanois : Oui, tout va bien. Je suis à Toronto. (en français)
PAN M 360 : Tu vis désormais à Toronto?
Daniel Lanois : C’est un peu compliqué. J’ai un studio à Toronto, une maison en Jamaïque et un autre lieu aux USA.
PAN M 360 : Tu es beaucoup aux USA ces temps-ci?
Daniel Lanois : J’ai un seul agenda, où que je sois : essayer d’atteindre le plus haut niveau à travers ma musique et mes chansons. J’espère toujours que le contenu et l’émotion de cette musique puisse toucher les cœurs et peut-être changer un peu la vie des gens. C’est ma contribution au monde. Sinon je pourrais juste rester sur le patio à discuter… Mais je n’ai pas de temps pour le patio, j’essaie encore de faire du mieux que je peux.
PAN M 360 : Pour ton retour au Québec, tu seras avec Jim Wilson et Jermaine Holmes c’est un trio qui excelle dans le chant harmonisé et dans l’exécution de ton excellent mélange de gospel, blues, folk-rock, americana façon Lanois, avec une touche de reggae. Le tout dans l’esprit de l’album Heavy Sun (2021) avec une touche de Rockets (2021) ?
Daniel Lanois : Tu m’enlèves les mots de ma bouche! Je vais boire mon café alors (rires). Il y aura tout ça et aussi, j’apporte sur scène tout un plateau électronique que j’utiliserai en plus de cette musique jouée avec mes musiciens. Je suis très excité, car nous faisons des choses en studio qui sont fascinantes mais qui ne sont pas présentées sur scène d’ordinaire, pas de la même manière en tout cas. C’est plus cher à produire en tournée, mais j’ai quand même pris la décision de le faire, car je veux faire évoluer mon show en y étalant quelques-unes de mes expériences électroniques.
PAN M 360 : Peut-on en savoir davantage?
Daniel Lanois : Oui, absolument! Ce gear sur scène, c’est un peu comme l’artiste dub jamaïcain Mad Professor qui peut travailler avec un 8-pistes sur scène; tu as la basse, tu as le beat et tu ajoutes des choses. Avec mon gear je peux mixer sur place, mais plus que ça, je fais du dub, j’ai mes échos préenregistrés, le groove est par exemple un groove classique jamaïcain, j’ai des effets et des samples à y ajouter en temps réel. J’organise moi-même les échos, les samples et les dubs sont les miens.
Je prends des morceaux et les présente dans un contexte distinct. Chaque soir, différentes chansons sont diffusées. Parfois, le dub va s’exprimer d’une certaine manière et je pourrai me dire alors : wow, je n’ai jamais ça avant ! On va donc s’amuser un peu avec l’électronique.
PAN M 360 : On l’a observé de nouveau depuis 2022 avec les albums sans paroles chantées (Player, Piano, Belladonna, Goodbye to Language, The Omni Series) Tu as toujours été intéressé par l’électronique et la musique instrumentale, les pédales d’effets, les chambres d’écho, les procédés créatifs en studio. Dans plusieurs de tes productions, pour d’autres artistes comme pour toi-même, il y a souvent cette attitude dub / ambient qui teinte l’instrumentation et l’expression americana.
Daniel Lanois : Oui c’est un domaine d’expertise chez moi. C’est ma dévotion à cette forme d’art, je suis donc très heureux d’apporter sur scène ces éléments électroniques. Je pense que ça sera divertissant pour tout le monde.
Et oui c’est une part importante de qui je suis comme tu l’as mentionné.
J’ose croire être un réalisateur organique, et cela remonte à l’époque des productions ambient avec Eno. C’est très technologique, mais ça ne te vient pas à l’esprit quand tu entends cette musique.
PAN M 360 : Effectivement, ça fait partie d’un tout. Holistique !
Daniel Lanois : J’aime ton mot tout parce que nous aimons les choses qui remplissent tout le corps. J’aime perpétuer ce que j’ai fait, tout en menant de nouvelles expériences. Explorer occupe une large part de ce que je fais, mais il faut être intelligent, c’est-à-dire ne pas juste faire des sons, des bruits. C’est-à-dire trouver cette posture utile où chacun y trouve son compte.
PAN M 360 : Tu peux compter sur un très grand répertoire. Matériel récent en priorité? Par exemple, si tu prends l’aspect électronique tu as récemment fait un bel album fondé sur les claviers peut-être pourrais tu également piger dans l’album Heavy Sun ?
Daniel Lanois : Je ne sais pas s’il faille s’attendre à quelque chose de précis. En tout cas, j’aurai aussi avec moi mon pedal steel guitar, la même que j’ai depuis ma jeunesse. J’adore en jouer ! Il y aura sûrement de belles harmonies vocales car mes musiciens en sont vraiment capables – je pense entre autres à Silverado, une chanson que j’ai écrite pour mon frère.
Et puisque je serai au Québec, je ferai possiblement Jolie Louise ou O Marie, une chanson de tabac. Tu sais, ces chansons bilingues se sont rendues au sud des États-Unis, des musiciens de Nouvelle-Orléans ont fait leur propre version de Under A Stormy Sky, ce qui me réjouit et m’encourage à poursuivre dans cette veine.
PAN M 360 : On ne s’étonne pas que le Deep South américain l’apprécie!
Daniel Lanois : Je vais d’ailleurs à Nashville très bientôt pour y joindre Emmylou Harris. Je compte faire avec elle notamment une version de May This Be Love de Jimi Hendrix. Avec Emmylou Harris, on célèbre l’album Wrecking Ball, Malcolm Burn est aussi avec nous sur scène, nous faisons quelques dates là-bas, dont le Ryman Auditorium.
PAN M 360 : Le répertoire est vaste, où que tu sois : la Jamaïque roots et dub, l’électronique et l’Amérique du Nord americana.
Daniel Lanois : Je peux apprécier l’étiquette americana, car je viens de cette musique des racines nord-américaines. Et j’assume ma responsabilité de créer de la musique du futur. C’est un peu ce que tu as fait avec le journalisme en décidant de t’éloigner de ce que tu faisais auparavant.
PAN M 360 : Exact. L’âge n’est pas un argument pour cesser de changer. Aujourd’hui, par exemple, recommander de la musique devient plus difficile que de la critiquer. Il faut comprendre où on s’en va et on arrête de changer lorsqu’on meurt. Tu as 72 ans et tu cherches encore, n’est-ce pas ?
Daniel Lanois : Comme tu le dis justement, la critique vient facilement à l’esprit mais… recommander et expliquer des musiques auxquelles tu crois et qui peuvent améliorer la vie d’une personne, c’est pour moi du meilleur journalisme. Il faut toujours rester imaginatif. Il faut encore explorer et penser aux possibilités qui s’offrent à soi. C’est pour ça que je suis encore là, j’imagine.
PAN M 360: Et, j’imagine, il faut faire autre chose dans la vie pour nourrir sa musique.
Daniel Lanois : Oui, j’ai d’autres activités créatives, je fais de la photo par exemple. Je suis aussi impliqué dans la cause environnementale, le problème du plastique par exemple. Je travaille également sur des projets multidisciplinaires, notamment avec l’écrivaine Margaret Atwood.
PAN M 360 : Peut-on parler d’une tournée importante qui t’amène à Québec et Montréal ?
Daniel Lanois : Au moment où l’on se parle, nous avons fait une dizaine de dates en Ontario, petites villes très sympa d’ailleurs. Nous avons roulé plutôt que volé, parce que les avions ne se rendaient pas où nous allions. Nous avons ainsi vu du pays, des rythmes de vie, des fermes, la vitesse des villes… Et bientôt, ce sera Québec et Montréal.
PAN M 360 : La plupart des artistes de ton âge et de ta stature gèrent leur propre legs musical jusqu’à leur mort. Ce n’est pas exactement ton cas!
Daniel Lanois : Nous avons déjà parlé de la responsabilité que nous avons pour les deux, à la fois l’héritage et les explorations. Tu restes chercheur et tant que cet intérêt reste vivant en toi, chaque jour est l’occasion d’une nouvelle découverte. Qu’est-ce qu’on peut faire de neuf aujourd’hui?