1 décembre 2021
Catégorie
Le Journal de Nicolas Houle
Écrit par : Alexandra Perron
Elle mesurait à peine 4 pieds 6 pouces, or Henriette Belley savait capter toute la lumière les soirs de première, à Québec, il y a 50 ans. Coiffée de chapeaux exubérants et de robes pharaoniques, cette spectatrice hors pair adaptait ses tenues au concert ou à l’opéra qu’elle venait écouter, provoquant les «Oh!» et les «Ah!» dans l’assistance. Mais qui était ce petit bout de femme sous les paillettes et les plumes, à qui le Palais Montcalm dédie sa nouvelle salle de spectacle?
«Une bonne vivante, plutôt casanière, qui habitait un petit logement très sobre», révèle sa nièce, Elyane Ouellet. Ses idées de grandeurs (au-delà de ses coiffes et de ses talons hauts), lui venaient d’on ne sait où.
Peut-être de sa bibliothèque, croulant sous les biographies de papes, de rois et de reines. Celle qui a appris à lire dans la vingtaine avait une impressionnante collection de beaux livres. Voilà un indice!
Mme Ouellet se rappelle la fierté de sa tante, quand Saint-Georges Côté, annonceur-vedette à la radio CKCV dans les années 1950, la consultait en catimini pour monter des questionnaires sur l’histoire et la royauté.
Revanche d’une petite fille d’origine modeste? Henriette, née Lambert en 1905, est issue d’une fratrie de 3 sœurs et d’un frère, à Beauport. Leur mère Artémise tirait le diable par la queue après le décès de son mari.
Elyane Ouellet, dans la salle qui rend hommage à sa tante Henriette. À 7 ou 8 ans, elle la visitait chaque semaine dans son appartement de la rue Saint-Joachim.
De fil en aiguille
Adolescente, Henriette travaille dans un atelier de couture. Ce qui lui permettra plus tard de matérialiser sa passion créatrice.
Mais l’heure n’était pas encore à la fantaisie quand elle s’est mariée au militaire Charles Belley, à 37 ans. Le couple habitait rue Saint-Joachim au moment où Mme Ouellet visitait sa tante chaque semaine. «Oncle Charles, un vétéran de guerre, avait gardé de graves séquelles, et n’était pas des plus jasants.» Il est décédé sans lui laisser d’enfant.
Dans son souvenir de petite fille, Mme Ouellet décrit le minuscule appartement d’Henriette, surchargé de vêtements accrochés jusqu’au plafond (mais pas encore de costumes). Des perruques aussi. Pour camoufler ses cheveux gris. Des bijoux, des colliers, des chapeaux partout. Là où il restait de la place, il y avait beaucoup de miroirs. Deux, trois ou quatre chats se promenaient entre les livres et le brouhaha.
Vendredis 13
En plus d’être couturière, Henriette était cartomancienne. Sa nièce se souvient des gens qui faisaient la queue devant sa porte les vendredis 13. «Elle ne demandait rien, les dons étaient volontaires.»
Pour ajouter à la légende, «la voyante de Québec» avait prédit sa mort à l’émission de télévision Le 745, animée par son ami André Paillé. C’était jour de son 75e anniversaire, et quatre bougies sont restées allumées sur le gâteau de fête qu’elle venait de souffler. Un signe, selon elle, qu’il lui restait quatre mois à vivre. La prophétie s’est réalisée et l’anecdote a été rapportée dans Le Journal de Québec du 2 mai 1980. Henriette avait succombé à un cancer quelques jours plus tôt.
Mme Ouellet ne l’a jamais vue étinceler un soir de première. Dans les années 1960 et 1970, celle qu’on surnommait «la merveilleuse folle de Québec» descendait toujours seule l’allée, exhibant ses plus beaux atours, jusqu’à son siège de la première rangée.
L’unique souvenir qu’elle a de sa tante costumée remonte aux années 1950, pendant le Carnaval, où elle incarnait Cléopâtre, entourée de petits pages, dont son frère, qui l’éventaient avec des plumes.
5000 parures
Peut-être les balbutiements d’une collection estimée à 5000 pièces vestimentaires et accessoires, tous plus extravagants les uns que les autres!
N’empêche, le Musée du Québec (ancêtre du Musée national des beaux-arts du Québec) a exposé ses créations en 1971. Puis quelques années après sa mort, un musée en son honneur a ouvert brièvement ses portes dans l’ancien cinéma Empire, côte de la Fabrique.
Depuis, pouf! L’héritage de ses tenues est introuvable. Les appels au dernier collectionneur reste sans réponse.
On découvre son legs sur quelques photos en médaillon dans la nouvelle salle du Palais Montcalm, Chez Madame Belley, parée de bleu nuit, d’ocre et de miroirs. L’une de ses robes a même été reproduite.
Sa nièce garde un souvenir affectueux de cette petite femme mi-secrète, mi-exubérante, qui a fait de sa vie un spectacle solo étincelant.