28 septembre 2018
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Le Journal de Nicolas Houle
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Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle
Les Strawbs s’apprêtent à faire un grand retour à Québec. Certains avaient vu la formation dans sa mouture acoustique à l’été 2003, lorsque les Britanniques s’étaient produits en trio au Pub Saint-Alexandre, mais cette fois, c’est la formation complète qui revient en ville pour la première fois depuis 1975, si la mémoire du chanteur et guitariste Dave Cousins ne lui fait pas défaut!
De leurs balbutiements, au milieu des années 60, jusqu’à la présente tournée, les Strawbs ont emprunté une trajectoire pour le moins singulière, cumulant les expériences les plus diverses tout en s’inscrivant dans le temps. Les faits marquants ne manquent pas. Quelques exemples? À ses débuts, le groupe a signé un enregistrement folk avec Sandy Denny ( All Our Own Work ) avant qu’elle ne joigne Fairport Convention, album qui est resté longtemps dans les voûtes, tandis que Dave Cousins prenait pleinement son rôle de leader et que le groupe s’amusait à flirter avec d’autres styles musicaux. Il y a bien sûr eu la séquence d’albums qui a valu aux Strawbs une reconnaissance internationale ( les From The Witchwood, Grave New World et Hero and Heroine ), puis une longue pause, à partir des années 80, où Cousins a mené une carrière dans le monde de la radio. Ceci n’a pas empêché sa bande de continuer à donner des concerts, puis, éventuellement, de revenir à temps plein, tantôt en trio acoustique, tantôt en formation complète. De nouveaux albums, comme le récent The Ferryman’s Curse, sont par ailleurs venus engraisser la discographie, déjà bien garnie, de la troupe.
Joint à son domicile, en Angleterre, Dave Cousins a répondu à nos questions sans dissimuler sa fierté face au chemin parcouru et son vif plaisir, du haut de ses 73 ans, à l’idée de revenir dans la belle province.
Q : Pourquoi avez-vous mis tant de temps à revenir au Québec?
R : Parce qu’on est très fatigué! Non, sérieusement, on est revenu au Canada à plusieurs reprises. À vrai dire, le groupe a fait sa percée à Montréal. C’est comme ça comme ça qu’on s’est imposé au Canada dans les années 70. Le groupe était très populaire à l’époque. En 1980, j’ai arrêté de jouer pendant 20 ans, alors durant cette période, je n’ai pas tellement fait de spectacles […] mais en 2002, je suis retourné avec la formation et j’ai décidé que je jouerais de nouveau à temps plein. Quand on est retourné au Canada, c’était d’abord avec le groupe acoustique. On est retourné par la suite avec le groupe électrique, mais on n’a fait que l’Ontario et la Nouvelle-Écosse; on n’est pas allé au Québec, malheureusement. Ne me demandez pas pourquoi! Quoi qu’il en soit, nous revoilà !
Q : Malgré vos absences prolongées, les fans vous sont demeurés fidèles. Comment expliquez-vous cette complicité qui perdure ?
R : Il y a toujours eu cet amour des Strawbs dans le Canada français. Dans les années 70, je suis allé à Montréal et j’ai enregistré un simple, Chérie je t’aime, qui était une version française de la chanson Grace Darling. Je crois qu’à partir de là, les gens ont commencé à apprécier l’amour que nous avions à jouer pour les francophones. La dernière fois qu’on a joué au Canada, en format acoustique, on a fait quelques shows au Québec et dans les Maritimes et j’ai entièrement présenté la chanson en français. Les gens en étaient bouche bée ! Ils ne croyaient pas que je parlais français et que je pouvais leur parler ainsi pendant 5 minutes ! […] Je voulais vraiment jouer à Québec cette fois. La formation électrique que nous avons maintenant est la meilleure des Strawbs qu’on n’a jamais eue et les gens seront époustouflés. On jouera des chansons de tous nos albums et je chanterai peut-être même une pièce bilingue, intitulée Canada. Ça va comme suit : « Canada, ô Canada, the journeys are endless, but never too far, Canada, ô Canada, toujours j’ai trouvé la force dans tes bras ! »
Q : Ça n’a jamais été facile de catégoriser le groupe : il y a du bluegrass, du prog rock, de la folk, de la pop, bref, tellement d’influences. Vous êtes le compositeur principal, comment procédez-vous ? Vous suivez votre instinct ?
R : La plupart des chansons sont autobiographiques, à propos de ce qui se passe dans ma vie. Ou alors d’histoires ou d’expériences pertinentes. Par exemple la chanson Grave New World ou New World a été écrite sur ce qui se passait en Irlande du nord. Benedictus a été écrite lorsque le claviériste Rick Wakeman a quitté le groupe et que je me suis demandé « devrais-je poursuivre » ? C’était dans les années 70… Et je suis allé lire dans un vieux livre Chinois, le Yi Jing, j’ai posé ma question et la réponse m’est revenue dans les paroles de la chanson :
The wanderer has far to go
Humble [c’était moi] must he constant be
Where the paths of wisdom lead
Distant is the shadow of the setting sun
Donc toutes les chansons sont essentiellement autobiographiques et parce qu’elles sont autobiographiques, elles ont une signification profonde pour moi et bien des gens s’identifient aux paroles et à leurs émotions. C’est ce qui a donné aux Strawbs leur longévité.
Q : Est-ce que c’est déjà arrivé que des chansons soient trop différentes du style de base des Strawbs au point où vous les laissiez tomber?
R : Rarement. Comment définit-on la musique des Strawbs ? Est-ce pop ? Est-ce rock ? Est-ce prog rock ? Est-ce folk ? Je ne sais pas ce que c’est. Nous ne disons pas délibérément « cette semaine, nous serons prog rock ». On enregistre un album selon ce qu’on ressent. Le nouvel album a obtenu des critiques dithyrambiques dans les sites web de rock progressif et l’album est même entré dans les palmarès prog rock en Grande Bretagne, alors on a fait un album prog rock ! Vous ne pouvez pas définir la musique des Strawbs, c’est ce que c’est. Ça peut se définir comme une musique avec de l’intensité, de l’émotion et du contenu poétique.
Q : Il y a tout de même certains éléments particuliers, comme vos différentes manières d’accorder les guitares. C’est quelque chose que vous faites encore ?
R : Oui. En fait, on doit planifier la liste de nos chansons de concert autour de la manière dont j’accorde ma guitare. Je suis allé dans la maison d’un ami lors d’une soirée et j’ai rencontré une jeune femme qui représentait les guitares Gibson. Elle m’a dit « je vais aller chercher mes guitares, on pourra en jouer ensemble ». Et elle est revenue avec deux guitares. C’est alors que je lui ai montré que j’utilisais 9 manières différentes d’accorder ma guitare, probablement plus, dans un concert régulier. Elle m’a dit « comment fais-tu ça ? » Et je lui ai dit que je m’accordais entre les chansons et que personne ne savait que j’étais en train de faire ça. Elle me demandait comment je faisais et si j’utilisais un accordeur pour guitare. Je lui ai dit non. Je n’ai pas l’oreille absolue, mais je sais comment accorder ma guitare ! […] Le problème est que lorsque les gens tentent de reprendre mes chansons, ils ne peuvent pas trouver les accords que je joue, en raison de la manière que ma guitare est accordée. Ce n’est pas une bonne idée si vous voulez que les gens reprennent vos chansons !
Q : Il y a eu plein de formations des Strawbs — on dénombre plus d’une trentaine d’anciens membres ou complices! Ç’a été un défi de garder ça en place et que ce soit une équipe fonctionnelle ?
R : Oui, ç’a été difficile, mais les gens voulaient jouer avec nous! Rick Wakeman, lors de notre 30e anniversaire, ne pouvait pas venir, mais nous avait dit « peut-être que mon fils Adam pourrait jouer avec vous ? » Alors Adam Wakeman est venu jouer avec nous. Puis on a eu Oliver Wakeman qui, comme son père, a quitté les Strawbs pour joindre Yes. On a eu Don Airey, qui est désormais avec Deep Purple, on a eu Blue Weaver, qui nous a quittés pour joindre les Bee Gees et jouer sur Saturday Night Fever et il est le plus riche des Strawbs ! Puis on a eu John Hawken… Strawbs a eu la meilleure équipe de claviéristes de tous les groupes au monde ! Et désormais on a le meilleur [Dave Bainbridge, depuis 2015, aussi guitariste soliste] que quiconque a jamais vu. Je vous assure, les gens vont en avoir la mâchoire décrochée !
[…] Moi, Dave Lambert et Chas Cronk, on est tous là depuis 1973. Et notre batteur, Tony Fernandez est là depuis 1977. Depuis, Tony Fernandez a été le batteur de Rick Wakeman, alors il y a un lien avec Rick Wakeman, qui a été notre premier claviériste. Il m’avait recommandé Chas Cronk, notre bassiste et Chas Cronk connaissait Tony Fernandez!… Vous voyez ? Tout est lié !
Ne manquez pas Strawbs en spectacle au Palais Montcalm le 10 octobre 2018!