5 novembre 2018
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Le Journal de Nicolas Houle
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Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle
Est-il possible de multiplier les tournées, tout en s’assurant que le public réponde présent à chacun des rendez-vous? Dweezil Zappa vous dira certainement « oui ». Lorsqu’il s’arrêtera au Palais Montcalm, le 11 novembre, le guitariste en sera à son huitième passage en douze ans. Et fidèle à lui-même, il débarquera avec une nouvelle proposition.
Zappa fils poursuit l’aventure qu’il a lancée en 2006 sous la bannière Zappa plays Zappa, à savoir célébrer le vaste et complexe répertoire de son père, Frank. Bien qu’une querelle familiale ait éclatée entre Dweezil et le Zappa Family Trust, qui l’a contraint à cesser d’utiliser le nom de son projet, l’Américain prend toujours autant de plaisir à monter sur scène. Les tensions familiales, devenues publiques en 2016, semblent s’être calmées, du moins en surface, ce qui permet de braquer de nouveau les projecteurs sur l’œuvre de Frank.
Nous avons joint Dweezil Zappa pour parler de ses débuts, sous la gouverne de Steve Vai, de comment il partage, à son tour, les secrets de la six cordes, sans oublier, bien sûr, du contenu de la présente série de spectacles, Choice Cuts. Et non, il n’est toujours pas question pour lui de joindre une tournée où son père apparaîtrait sous forme d’hologramme…
Q : Une nouvelle visite à Québec, un nouveau concert! Parlez-moi de la spécificité de celui-ci. Vous vouliez cette fois insérer des chansons moins connues et même des versions rares de certaines pièces, n’est-ce pas?
R : Exactement! Nous avons trouvé des versions de chansons qui n’avaient été interprétées que quelques fois dans certaines tournées dans les années 70, alors il y a une version de Pygmy Twylyte qui est vraiment super funky, c’est peut-être la pièce la plus funky que mon père ait jamais faite. Il y a des éléments très cool, ornementaux, qui ont été ajoutés… Il y a une autre pièce qu’on a trouvée dans le même concert, qui est en quelque sorte le thème de Orange County (Return of the Son of Orange County), qui est vraiment rapide et funky. Ces deux pièces sont celles sur lesquelles nous sommes d’abord tombés et où l’on s’est dit qu’on devrait apprendre ces arrangements. Ça provient d’enregistrements pirates, pas d’albums live officiels. On a également déniché la toute première performance de Florentine Pogen, de mai 1974, alors nous avons appris cette version et il y a quelques autres trucs du genre, dont une version un peu tordue de T’Mershi Duween. Ce sont là les pièces qui ont donné le ton, qui sont les éléments-clé de Choice Cuts. Mais on puise tout de même dans chacune des périodes de la carrière de mon père, donc on joue des pièces comme Absolutely Free, en collant à la version de l’album, que mon père n’a jamais jouée sur scène. […] On va en profondeur. Il y a 33 pièces dans le programme, donc ça dure trois heures!
Q : Comment procédez-vous lorsque vous montez les spectacles? Est-ce que vous passez à travers l’œuvre de votre père en ayant une thématique ou une approche particulière en tête? Ou tentez-vous de répondre aux fans?
R : C’est un peu des deux, mais c’est toujours un défi d’équilibrer tout ça et de s’assurer que tout coule de source et soit excitant. Le but ultime est de démontrer la diversité dans le répertoire de mon père et ce dont il était capable à titre de compositeur et de guitariste. Avec ça comme critères, on a trouvé différents éléments que l’on estimait passionnants et motivants à jouer, qui nous ont permis de continuer de grandir à titre de musiciens et de groupe. Le truc qui est bien, c’est que le groupe que j’ai en ce moment était capable de s’approprier le matériel de n’importe quelle période, que ce soit au plan vocal, musical ou autre. On peut aller de l’époque des Mothers aux années 80 ou ailleurs. Par exemple, on a la pièce Valley Girl dans notre programme, qu’on n’avait à peu près jamais joué et Sheila fait la voix de Moon Zappa…
Q : Parlant de votre groupe, est-ce difficile de trouver des musiciens qui sont capables de rendre cette musique et qui affichent une belle chimie?
R : Sheila Gonzales est là depuis le début; elle a participé à tous les concerts que j’ai jamais joués. Tous les autres ont changé au fil des ans. Présentement, c’est la meilleure version du groupe que j’ai jamais eue. Cependant, le plus gros défi n’est pas forcément d’avoir les musiciens qui ont la juste somme de talent pour exécuter ou jouer une partition, mais de trouver des gens qui ont la bonne attitude envers les partitions. C’est comme la musique orchestrale : tout le monde a un rôle à jouer. Vous devez avoir le bon état d’esprit et être le bon joueur pour mettre votre attention dans ces détails. Vous ne pouvez pas avoir des artistes qui ont des egos démesurés, qui tentent d’attirer l’attention sur eux et qui s’éloignent de ce qui est requis dans la musique.
Q : Quelle était la chanson la plus difficile à monter pour cette tournée?
R : C’est clairement Ship Arriving Too Late to Save a Drowning Witch. Mon père avait réuni sept performances distinctes ensemble pour en obtenir une où toutes les partitions étaient jouées correctement, alors ça vous donne une idée à quel point cette pièce est difficile à rendre! Si vous avez l’occasion d’écouter cette pièce, vous ne remarquerez probablement pas où les portions sont coupées, mais elles proviennent de différentes formations jouant différentes sections, tout cela échelonné sur une certaine période de temps. Ceci n’était pas une performance live en studio. C’est assez fascinant qu’il ait pu faire un montage […] pour en tirer une pièce.
Q : Jusqu’au printemps dernier, vous étiez au cœur d’un gros litige avec le Zappa Family Trust, où les quatre enfants de Frank étaient tiraillés en deux clans. Dorénavant, il y a une entente ou, à tout le moins, vos différends ne sont plus publics. Pouvez-vous mettre ça de côté et ne penser qu’à la musique?
R : On l’espère. Ça reste à voir, mais c’est le but. Pour l’instant, on a été capable d’aller de l’avant sans qu’il n’y ait d’accrocs. Mais je ne suis jamais trop certain de ce qui se passe…
Q : J’imagine que vous n’avez pas changé votre opinion sur tous les points… Qu’en est-il de cette tournée avec un hologramme de Frank, projet du Zappa Family Trust, à laquelle plusieurs de ses anciens collaborateurs devaient se joindre? Refusez-vous toujours d’y prendre part?
R : Je n’y serai pas. Je ne suis pas certain de ce que sont leurs plans pour ça. Je n’ai pas eu de nouvelles à propos de ça et de si ça se produirait.
Q : Quel est l’avenir de ce qu’on appelait avant Zappa plays Zappa? Est-ce qu’il y a de la musique de Frank que vous aimeriez apporter ou superviser sur scène et à laquelle vous n’avez pas touché encore? Il y a tellement d’ensembles classique, jazz ou autres qui s’intéressent à la musique de votre père…
R : J’ai clairement de l’intérêt pour apprendre davantage du matériel orchestral. Il y a un ensemble à vents de Norvège, avec lequel on a joué en Europe et avec lequel j’adorerais faire une tournée mondiale, car on serait en mesure de faire beaucoup de matériel orchestral. Ils travaillent très bien avec notre formation, dans un contexte rock. Ils sont 11 cuivres et ils ont aussi des percussions, comme des marimbas, alors les spectacles qu’on a faits avec eux étaient géniaux pour explorer les autres détails, au-delà du matériel rock. J’adorerais ça, mais ce n’est pas facile à faire parce que ça coûte passablement d’argent, ça implique d’autres gens, d’autres instruments, d’autres équipements, etc. Mais ce serait un scénario de rêve, d’arriver avec un vaste programme qui inclurait de grandes orchestrations qui n’ont pas encore été jouées dans un contexte rock. J’adorerais faire ça.
Q : Vous avez joué dans la chanson MRI de Derek Smalls, qu’on connaît comme le bassiste de Spinal Tap. Comment ça s’est passé?
R : J’ai joué sur un des albums de Spinal Tap par le passé et j’ai déjà joué avec eux sur scène. Un des trucs amusants est que la toute première performance de mon propre groupe, sur scène, était en première partie de Spinal Tap à un spectacle du NAMM, un salon professionnel de l’industrie musicale, en Californie. Je crois que c’était il y a 30 ans! Mais donc je suis resté en contact avec les gars et lorsque Derek Smalls a décidé d’enregistrer un album, il m’a contacté pour savoir si je voudrais ajouter quelque chose à sa chanson et ç’a été pas mal amusant. Le vidéoclip est assez ridicule, avec la petite version de moi-même!
Q : Si on remonte dans le temps, Steve Vai avait écrit des leçons pour vous en 1982, alors que vous n’aviez que 12 ans. On a vu pire comme enseignant, non? Quel rôle a-t-il joué dans votre compréhension et votre maîtrise de la guitare?
R : Il était dans le groupe de mon père à l’époque, il était au début de la vingtaine et avait des allures de machine : il pratiquait continuellement pour apprendre toute la musique de mon père. Quand il a fait ce cahier d’apprentissage pour moi, c’étaient les éléments de base, les gammes pentatoniques, quelques accords et j’ai fait de mon mieux pour apprendre tout ce que je pouvais de ce livre de notes. J’écoutais des albums et je m’efforçais d’apprendre des solos de guitare de Van Halen, de Randy Rhoads ou d’Angus Young, des trucs du genre. J’aimais la musique de mon père, mais c’était toujours trop compliqué à apprendre. J’aurais aimé joué The Black Page ou ces mélodies qui étaient mes favorites comme Dog Meat, mais c’est arrivé plus tard. J’ai fini par jouer des partitions qui ne devaient jamais être jouées sur la guitare… Il y a plein de chansons qui n’ont jamais été jouées sur la guitare, car elles étaient trop difficiles, mais c’était un objectif que je m’étais donné en 2006, quand je me suis lancé là-dedans. Tout ça est donc parti de bonnes bases, en apprenant diverses techniques et je continue d’améliorer mon jeu pour continuer de progresser. Mais oui, ç’a aidé que Steve m’ait donné ces leçons et ait écrit ce cahier. Je suis parti de ça. Et même encore aujourd’hui, lorsque je vois des guitaristes qui sont talentueux et que je ne connais pas, je ne crains pas d’entrer en contact avec eux, grâce à Internet et aux médias sociaux, pour en apprendre plus à propos de telle ou telle chose. Je fais souvent des séances Skype ou des trucs du genre pour apprendre d’autres choses. Je me sens plus comme le disciple que comme le maître!
Q : Mais vous êtes aussi le maître. La dernière fois que vous étiez en ville, vous aviez invité Jacob Deraps, ce jeune guitariste de Beauce, que vous avez pris sous votre aile. Vous êtes toujours en contact avec lui?
R : Oui. Je ne sais pas s’il sera dans les parages, mais si c’est le cas, je vais m’assurer qu’il soit au concert. Il s’est développé, il devient un très bon guitariste et il met sur pied son propre groupe. Il devient un bon chanteur aussi. Il a beaucoup à offrir.
Q : Lors de votre passage au Palais Montcalm, vous donnerez un cours de maître à la salle d’Youville (11 novembre, 15h30), qui a des allures d’atelier, puisque vous avez invité tout le monde à apporter sa guitare. Parlez-moi de votre approche…
R : Ce que j’aime faire, c’est partager des choses qui, pour moi, sont des raccourcis qui me permettent de mieux me promener autour de la guitare. […] Un des trucs que j’explique est que la guitare est trois combinaisons de deux cordes. Quand vous la regardez sous cet angle, ça simplifie tout, car soudainement, tout ce que vous pouvez faire sur une paire de cordes, vous pouvez le faire sur l’autre. Alors au lieu d’avoir à mémoriser tellement de positions sur le manche, vous identifiez cinq façons de positionner vos doigts et lorsque vous voyez où ils sont, vous le voyez sur chaque paire de cordes, divisées par octaves. Et vous pouvez vous déplacer autour de manière passablement plus facile. […] C’est comme ça que j’ai appris au tout début, je ne trouvais pas de meilleure méthode… Ce truc aide les gens instantanément, en particulier les débutants.
Le dimanche 11 novembre 2018, à 20 h
Salle Raoul-Jobin – Palais Montcalm
Détails et billets au palaismontcalm.ca