27 février 2019
Catégorie
Le Journal de Nicolas Houle
Types
Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle
Figure incontournable de la world des années 50 et 60, comédien accompli et infatigable activiste, Harry Belafonte a mené une carrière fascinante. Pourtant, son répertoire demeure peu célébré, une injustice que Florence K et le réalisateur Nicolas Petrowski s’efforcent de corriger avec le projet We Love Belafonte par l’entremise d’un album et d’une tournée qui s’arrêtera le 8 mars au Palais Montcalm.
Il y a deux ans, Nicolas Petrowski approchait Florence K avec l’idée de plonger dans l’univers du chanteur qui a grandi dans la Jamaïque. La chanteuse et pianiste ne s’est pas faite prier et bientôt les deux complices ont marché dans les pas de celui qu’on a surnommé le roi du calypso.
Belafonte, qui rêvait de faire ses débuts au théâtre, s’était retrouvé, à la fin des années 40, au sein d’une formation jazz exceptionnelle, entouré de Charlie Parker, Miles Davis, Max Roach et Tommy Potter. Pas mal pour un homme qui se contentait, quelques années auparavant, d’un emploi d’aide-concierge…
Le comédien et chanteur a toutefois réalisé que l’univers de la note bleue n’était pas vraiment pour lui. Influencé par Leadbelly et Woody Guthrie, il a plutôt trouvé sa voie dans une folk et une world qui lui ressemblaient davantage, où le commentaire social était omniprésent. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a atteint les sommets avec son album Calypso (1956), qui comptait notamment le grand succès Banana Boat Song – la pièce a eu droit à un second souffle dans le film Beetlejuice, en 1988, tout comme Jump In The Line.
Cet enregistrement a été l’amorce d’un succès international pour Belafonte. Notre homme a fait le tour du monde, chantant auprès d’artistes de différents horizons, dont Nana Mouskouri et Miriam Makeba. Tandis que sa carrière brillait, Belafonte ne perdait pas de vue son engagement politique ou social : il a milité auprès de Martin Luther King, de Malcom X, de la femme du président Roosevelt, Eleanor, qui lui ouvre les portes des Nations Unis, ou de Nelson Mandela. C’est aussi à Belafonte, ambassadeur de l’UNICEF depuis 1987, qu’on doit l’idée du célèbre hymne We Are The World.
Devant une trajectoire et des chansons aussi riches, on peut comprendre pourquoi Florence K et Nicolas Petrowski n’ont eu aucun mal à convaincre Shane Philips, David Myles, Alex Cuba, Katie Moore et Warren Spicer de les joindre dans l’aventure We Love Belafonte.
Laissons la parole à Florence K, qui lève le voile sur la genèse de ce projet.
Nicolas Houle : Vous n’êtes pas seulement une voix dans We Love Belafonte : vous avez aussi été impliquée au plan de la réalisation. Visiblement, ce projet vous a fortement interpellée, non?
Florence K : Absolument, j’adore Belafonte et je reconnais l’immensité de son travail et de sa musique. C’est vraiment quelque chose d’assez impressionnant. Quand on regarde tout ce qu’il a fait et ce qu’il fait encore – c’est un activiste aussi – c’est quelqu’un dont la musique me touche beaucoup.
NH : Qu’est-ce qui vous fait vibrer, justement, dans sa musique ou son répertoire en général?
FK : C’est quelqu’un qui n’a jamais eu peur de briser les frontières. C’est un avant-gardiste – car on parle des années 50, des années 60 – qui n’avait pas peur de s’impliquer socialement. Les droits civils américains, les droits des femmes, il transmettait ça dans sa musique, mais avec un certain humour, une certaine légèreté et je crois que c’est ça qui lui a donné de l’attention, parce qu’on voyait en même temps qu’il donnait, plutôt que de se prendre au sérieux. Il n’a pas fait ça pour de la gratification envers lui-même, il a fait ça pour les autres. Il a vraiment réussi ça en écrivant des chansons et en en prenant partout à travers le monde. Il a chanté Hava Nagila, il a chanté en espagnol, tout ça. Il a réussi à montrer qu’il n’y avait pas de limites et qu’il n’y avait pas de frontières à ce qu’on pouvait faire en tant qu’être humain quand on travaillait ensemble.
NH : Est-ce que vous l’avez contacté ou avez contacté son entourage quand vous vous êtes attaqués à son répertoire?
FK : On lui a envoyé l’album, parce qu’on voulait qu’il soit d’accord avec nos interprétations et il l’a approuvé. On ne lui a pas parlé directement, sauf qu’on était très contents de savoir qu’il l’avait entendu, évidemment. C’est quand même quelqu’un qui a été célébré, mais pas autant que Frank Sinatra ou Ella Fitzgerald. Il n’y a pas énormément d’hommages qui lui ont été rendus, c’est pour ça qu’on pense que c’était important de le faire, surtout de son vivant, afin qu’il sache qu’il y a des jeunes qui aiment sa musique, qui l’admirent et qui ont été inspirés par lui.
NH : Comment les pièces ont-elles été sélectionnées?
FK : C’est sûr qu’on a pris ses chansons les plus connues. On parle bien sûr de Day-O (Banana Boat Song) ou de Cucurrucucù, qui est une pièce qui est très aimée, qui rappelle beaucoup de souvenirs à beaucoup de gens. Puis on a travaillé aussi avec les artistes qui sont sur l’album, c’étaient des choix auxquels ils devaient adhérer, c’est des chansons qui devaient leur coller à la peau, des chansons qu’ils aimaient. On leur suggérait des chansons et ils nous revenaient ensuite avec des idées. Quand j’écoute David Myles et que j’entends son Kingston Market ou son Matilda, ça ne pouvait pas lui coller plus à la peau que ça!
NH : Comment on choisit des interprètes pour chanter Belafonte? C’est un artiste particulier, qui n’a pas nécessairement son pendant stylistique au Québec…
FK : Ce sont des artistes qui ont une certaine affiliation avec Belafonte. Ce sont des artistes qui connaissaient ses chansons et qui avaient un attachement avec lui. C’étaient des gens qu’on connaissait aussi personnellement; ce sont des amis de Nick ou des gens avec qui on avait travaillé parce qu’on a pensé à eux en premier, c’est sûr. Aussi, c’étaient des voix différentes, ce n’était pas nécessairement les voix auxquelles on se serait attendu quand on parle de rendre hommage à Belafonte, mais c’est ce qui rend le projet intéressant : on a des voix plus folk, comme Katie Moore, des voix plus r’n’b comme Shane Philips, plus latine aussi. Donc c’était important de démontrer que les chansons de Belafonte peuvent être chantées par toutes sortes de voix différentes, parce que ce sont des classiques. Ce sont des pièces où parfois il n’y a pas plus de quatre accords et ça, c’est l’art d’écrire une mélodie. Tu ne te compliques pas la vie. Tu écris un texte efficace. Dans le less is more, avec une qualité incroyable, il a vraiment réussi quelque chose.
NH : Sur l’album, les invités se partagent le matériel interprété de manière assez égale. Mais pour vous, qui êtes dans le projet depuis le départ, est-ce qu’il y avait des chansons plus difficiles à laisser partir? Des titres auxquels vous étiez plus attachée?
FK : Non, pas du tout. Ce qui est important pour moi, c’est la chanson, pas d’être mise en valeur. Au début c’est moi qui faisait Day-O, mais on trouvait que c’était plus beau dans la voix de Shane, alors on l’a donnée à Shane. La seule à laquelle je tenais beaucoup était Cucurrucucù Paloma, en raison de mon petit côté latin, mais à part ça – Jump In The Line je l’avais enregistrée aussi, mais on trouvait que ça fittait mieux avec Alex – ç’a n’a pas été dur pour moi. En tant que réalisatrice aussi, c’est de choisir ce qui va être le plus avantageux pour la chanson.
NH : Quels invités prendront part au spectacle?
FK : Tout le monde sauf Warren Spicer, qui est en tournée avec Plants & Animals.
NH : Comment fonctionnez-vous sur scène? Est-ce que chacun présente son numéro ou est-ce plutôt une performance collective?
FK : Tout le monde est impliqué dans les chansons des autres. On a aussi un choriste et les musiciens peuvent faire des chœurs. Et tout le monde est sur scène en même temps. On ne voulait pas faire « un artiste entre et l’autre s’en va » parce que Belafonte c’est ça aussi : l’art de travailler en communauté. La musique c’est plus beau quand c’est fait ensemble. On fait tous partie du band.
NH : Il y a une partie de Belafonte qui ne se chante pas : le comédien, mais aussi le militant. Comment vous y faites allusion?
FK : On va en parler, en lien avec certaines chansons. Il ne faut pas que ce soit trop long, parce qu’on veut mettre la musique en avant, mais on fera mention des bribes de son histoire, de façon à l’intégrer dans la continuité du spectacle.
NH : Parlez-moi des autres chansons que celles de l’album que vous jouerez dans le spectacle…
FK : On les a choisies parce qu’elles marchaient avec le reste du show, c’étaient des chansons fun aussi comme Zombie Jamboree, Sweetheart From Venezuela. Je fais un blues aussi avec Katie Moore, parce que c’est quand même quelqu’un qui a chanté le blues, Belafonte, donc c’était pour élargir un petit peu les horizons et c’étaient des chansons qui marchaient avec le reste du pacing. On les a choisies surtout pour des raisons musicales.
NH : Après We Love Belafonte, quels sont vos prochains projets?
FK : J’ai mon émission à CBC. En ce moment, je prends un peu de recul, loin de la scène et des médias, parce que j’en ai besoin, j’ai besoin de passer du temps avec ma famille, mes amis et d’écrire. C’est une année de création pour moi. Après Belafonte, je prends un peu de recul, même si j’ai des spectacles par-ci, par là. Je veux me concentrer sur l’écriture, car j’ai quand même un roman à écrire.
NH : Un autre roman, c’est donc que vous avez aimé écrire de la fiction?
FK : Oui, j’avais écrit un premier roman, Lili Blues, et mon autobiographie. J’adore écrire. C’est un travail qui est tellement différent que d’être sur scène. C’est quelque chose tout en intimité et en retrait, c’est une relation que l’on construit d’abord et avant tout avec soi-même, tandis que sur scène c’est avec le public et on dirait que pour moi, ça équilibre beaucoup de choses, de me retrouver dans cet élément-là.
…
Florence K et la troupe de We Love Belafonte sera de passage au Palais Montcalm le 8 mars 2019, à 20 h.
Venez vous décontracter au Palais Montcalm dès 19 h dans le cadre d’une Soirée thématique. Au programme : initiation aux danses latines, bar et ambiance!