13 novembre 2018
Catégorie
Le Journal de Nicolas Houle
Types
Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle
« Reine de la soul », « Voix du rock », « Roi de la pop »… Des titres comme ceux-ci sont remis à des artistes bien connus, mais rarement dans un contexte officiel. Ce sont en effet plus souvent les fans, voire les chanteurs eux-mêmes ou leur entourage, qui tendent à décider de leur sobriquet. Mais dans le cas de Thornetta Davis, le scénario est tout autre : elle a été officiellement couronnée Reine du blues de Détroit par la Detroit Blues Society, cérémonie comprise!
Vrai qu’avec sa voix puissante, cette chanteuse qu’on a aussi entendue auprès de Big Chief, de Kid Rock ou encore dans la célèbre série The Sopranos est assurément la digne héritière d’Alberta Adams. Nous nous sommes entretenus avec elle à la veille de son passage au Palais Montcalm, le 17 novembre, où elle sera entourée de 7 musiciens.
Nicolas Houle : Vous avez été couronnée la Reine du blues de Détroit il y a 3 ans, un titre qu’Alberta Adams avait avant vous. Racontez-moi comment on devient reine du blues…
Thornetta Davis : J’ai travaillé avec Alberta pendant près de 20 ans et j’ai gagné le prix de la meilleure chanteuse pendant une trentaine d’années [aux Detroit Music Awards]. Après le décès d’Alberta, les gens de la Detroit Blues Society sont venus me voir en me disant « nous avons besoin d’une nouvelle reine », mais je leur ai dit « je ne crois pas que le moment soit venu ». Ils ont attendu un an, puis ils sont revenus en me disant « on veut vraiment que tu sois la Reine du blues de Detroit » et je leur ai répondu « c’est bon, j’accepte! » Et donc ç’a été fait par la Detroit Blues Society et il y a eu une sorte de couronnement durant The Blues Girls of Summer, un événement qui était réalisé par une autre chanteuse de blues, Nikki James. Elle avait réuni 10 ou 12 femmes qui ont toutes joué. J’ai été couronnée et la ville et l’État ont fait une proclamation, si bien que me voici reine officielle du blues de Détroit!
N.H. : Vous avez participé à un concours, à l’âge de 15 ans et par la suite, vous avez joint différentes formations. C’est lorsque vous avez commencé à jouer dans des jam sessions, en 1987, que vous avez fait la rencontre des Chisel Brothers…
T.D. : Oui, ils m’avaient dit « on ne fait pas du r’n’b de top 40 », ce que je faisais à l’époque, « mais on fait du blues et de la soul ». C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à fouiller dans la discographie de ma mère, pour redécouvrir la musique que j’écoutais quand j’étais enfant. Et donc j’ai commencé à chanter le blues avec ces gars-là. Immédiatement, j’ai commencé à avoir droit à des articles dans les journaux et j’étais la nouvelle chanteuse blues du coin! Depuis, je chante le blues!
N.H. : Diriez-vous que les Chisel Brothers était le groupe parfait pour apprendre votre métier de blueswoman?
T.D. : Oh oui! Ils étaient, soul, rock et j’adore cette musique. Ça m’a redonné vie, parce qu’à l’époque j’avais vraiment besoin de gagner ma vie. J’étais mère monoparentale et c’était un match parfait. Je disais « Dieu, laissez-moi poursuivre avec ce groupe ». Il faut dire qu’à ce moment, je ne croyais pas que je pourrais gagner ma vie en chantant, je croyais que ça demeurerait un passe-temps. Je continuais de faire des demandes d’embauche et aussitôt que j’ai joint les Chisel Brothers, j’ai eu mon boulot à temps plein.
N.H. : Vous avez lancé un premier album solo en 1996, sur le label Sub Pop, ce qui peut sembler étrange, lorsqu’on sait que cette étiquette était davantage associée à la mouvance grunge. Mais ceci découlait de votre collaboration avec Big Chief, non?
T.D. : Oui, à cette époque je faisais des voix musclées par-dessus du rock alternatif. Vous savez, il y a souvent des voix soul par-dessus des chansons rock, c’est pourquoi plusieurs artistes m’ont demandé de chanter pour eux, dont Big Chief, qui était sur l’étiquette Sub Pop. Ils m’avaient demandé de faire une voix sur la chanson One Born Every Minute. (…) Les gens de l’étiquette avaient vraiment aimé ma voix et ils m’ont approché en me disant qu’ils voulaient faire un album avec moi. J’étais d’accord, car ça me donnait davantage de visibilité et ça m’a donné un élan créatif, car avant ça, je n’écrivais pas. (…) Je trouvais ça bien, parce qu’à ce stade, j’étais avec les Chisel Brothers depuis 10 ans et je sentais que j’étais mûre pour faire quelque chose de différent. Quand on m’a offert ça, je me suis mise à véritablement écrire et Sunday Morning Music est paru.
N.H. : Sur ce premier album, la pièce Cry a été remarquée et s’est retrouvée par la suite dans la fameuse série The Sopranos… Comment est-ce arrivé?
T.D. : La réalisateur des Sopranos m’a appelée. Il m’a dit qu’il aimait vraiment beaucoup ma musique. Moi, je ne savais même pas ce qu’était The Sopranos. Je savais que c’était une émission télé, mais je n’avais pas le câble, alors je n’avais pas la chaîne HBO et je pensais que c’était une émission à propos de chanteurs! Quand il m’a dit « on aimerait pouvoir utiliser l’une de vos chansons pour une émission », j’ai dit « Super! » Alors on a réglé ça, mais j’ai dit «en premier lieu, laissez-moi voir cette émission et je me suis arrangée avec quelqu’un qui avait cette chaîne. J’ai fait « oh, c’est à propos d’une famille de la mafia! » Mais donc ç’a été particulièrement bon pour ma visibilité, surtout que cette émission a été un grand succès. Ils ont aussi utilisé ma voix pour une reprise de The Little Drummer Boy dans l’un de leurs épisodes.
N.H. : Beaucoup de temps a passé entre votre premier album sur Sub Pop et le plus récent, Honest Woman (2016). Est-ce parce que vous aviez décidé de vous concentrer uniquement sur la scène?
T.D. : Je m’assure toujours de pouvoir monter sur scène un peu partout, en ville. Je suis aussi allée jouer en Europe et j’ai séjourné presque tous les étés en Italie, mais j’ai également enregistré un album live dans un club où je jouais tous les mercredis au centre-ville de Détroit. […] Je me suis assurée d’avoir de la visibilité en reprenant toutes ces chansons que je jouais depuis des années. J’ai enregistré ça un soir et j’ai été satisfaite du résultat, mais je ne vendais ça qu’à mes spectacles et donc l’album suivant a été Honest Woman! Si on fait le calcul, de 1996 à 2016, ça m’a pris 20 ans pour lancer un nouvel album de matériel original, mais j’ai continué à écrire régulièrement durant cette période et j’essayais le matériel sur scène, ce qui m’a permis d’avoir le son précis que je voulais, une fois rendu à l’enregistrement.
N.H. : Avec ce titre de Reine du blues, on peut penser que vous ne chantez que le blues, mais il y a du gospel, de la soul, du r’n’b. Vous avez du plaisir à aller dans toutes ces directions?
T.D. : Je sens que le blues est la source de tout ça. Vous savez, Muddy Waters disait « the blues is the roots, the rest is the fruits ». Je crois à ça. Quand j’ai commencé à chanter le blues, je me suis mise à me brancher sur tous les genres. Auparavant, je croyais que je serais une chanteuse de r’n’b. Je croyais que je serais une Whitney Houston, une Gladys Knight ou une Phyllis Hyman, que j’adore, mais je me suis mis à chanter le blues sur une base régulière et j’ai réalisé combien mes émotions étaient liées à cette musique. J’étais libre, que ce soit dans des pièces rapides ou lentes. Aussitôt que je me suis mise à en jouer, j’étais quelqu’un d’entièrement différent. Et j’ai réalisé que c’était la musique que je devais chanter.
N.H. : Le blues vous permet de parler des épreuves de la vie, mais vos chansons ne sont pas forcément tristes, il y a toujours de la lumière, de l’optimisme. C’est quelque chose d’important pour vous?
T.D. : Très important. Pour passer à travers les épreuves de la vie, vous devez savoir qu’il y aura une journée plus ensoleillée. On va tous avoir le blues dans nos vies, mais il y aura toujours un moment lumineux, ça ne restera pas toujours ainsi. Et tout ira. J’ai passé plusieurs épreuves dans ma vie, j’ai eu un père alcoolique et abusif. Enfant, vous pensez que c’est la pire chose qui peut vous arriver. Mais quand vous grandissez, vous faites le choix de changer ça, de manière à ce que votre enfant ne grandisse pas dans ce type d’atmosphère. Et ce dont je suis la plus fière, c’est que j’ai élevé une femme qui est forte et qui prend soin de ses enfants. Pour moi, c’est la meilleure chose que je pouvais réaliser, au-delà de toute la musique que j’ai pu faire et de tous les prix que j’ai pu gagner. Et d’être davantage en santé et plus forte que je ne l’étais. Le blues m’a permis ça.
Le samedi 17 novembre 2018, à 20 h
Salle Raoul-Jobin – Palais Montcalm
Détails et billets au palaismontcalm.ca